Les pèlerinages et les lieux sacrés

Il y a beaucoup d’endroits, en Inde, qui sont d’une importance spéciale, pour les Jaïns, en raison de leur association à de saints personnages du passé. Certains sont des lieux où les omniscients ont quitté ce monde et réalisé leur libération finale, d’autres sont des sites où se sont produits des événements religieux célèbres, dans d’autres un beau temple (souvent de nombreux temples) ou une statue de Tirthankara attire les pèlerins. Les pèlerinage à ces lieux sont depuis longtemps populaires. On sent qu’il y a un grand mérite à les visiter. Autrefois (et souvent aujourd’hui encore) la difficulté du voyage était une forme d’austérité qui apprenait l’endurance et le contrôle du corps. L’atmosphère religieuse et le fait de savoir que l’on est à l’endroit même où de grands personnages des temps passés et une multitude de pèlerins jaïns ont marché inspire des sentiments de révérence et de respect.

Les pèlerins qui se rendent dans ces lieux sacrés peuvent être des moines ou des nonnes qui se déplacent, souvent sur de longues distances, à pieds (le risque certain d’écraser ou de blesser de petits créatures sous les roues fait que moines et nonnes ne voyagent pas en voiture ou par d’autres moyens). Ce sont aussi des laïcs solitaires, des familles ou des groupes organisés. Pour certains, le voyage peut représenter une véritable épreuve et souvent des gens riches ont à cœur d’en aider d’autres à aller en pèlerinage. Parfois, un Jaïn cossu organise une grande caravane de pèlerins. Un pèlerinage dirigé par un grand homme d’affaires d’Ahmedabad eut lieu, il y a quelques cinquante ans, avec près de 15.000 personnes, 400 moines et 700 nonnes. Cinq cents aides, cuisiniers et gardes veillaient sur eux, alors qu’ils voyageaient par lentes étapes, marchant à pieds la plupart du temps ou, pour certains, à dos de chevaux ou dans une centaine de voitures jusqu’à Girnar (Gujarat) ( là où le vingt-deuxième Tirthankara   Neminatha est parvenu à la libération) et jusqu’au grand nombre de temples de Shatrunjaya (Gujarat).  Treize cents charrettes tirées par des bœufs et de camions transportaient les tentes, les équipements de cuisine et les bagages des pèlerins. Lorsqu’ils campaient, la nuit, les rangées de tentes, l’agitation et les lumières, les femmes effectuant des danses religieuses et chantant, donnaient l’impression d’une petite ville. De nos jours, naturellement, d’importants groupes de pèlerins voyagent par des moyens de transport modernes (l’inconfort peut être moindre, mais l’intention pieuse est la même, et c’est encore la pratique, pour des Jaïns riches, d’en organiser et d’en financer) mais de grandes masses de pèlerins, un millier ou plus à la fois, font encore le voyage sacré à pieds, comme le font aussi des fidèles isolés.

La plupart des grands lieux de  pèlerinages sont éloignés des centres urbains, presque toujours au sommet de collines ou de montagnes et souvent dans des environnements d’une beauté naturelle favorisant la dévotion et la méditation.

Les temples jaïns à travers l’Inde sont à noter pour leur propreté et leur atmosphère sacrée. Le fidèle entre avec respect, sa pensée et son esprit préparés, son corps et ses vêtements propres. Ses chaussures sont ôtées, les ombrelles et les cannes sont laissées à la porte. Aucune activité du monde n’a sa place dans le temple. On n’y dort pas et on ne s’y assied pas pour converser. L’architecture et les sculptures sont souvent sans égales dans ce que l’Inde peut montrer sur ces plans. Le point central c’est la statue du Tirthankara, représenté assis ou debout, dans une profonde méditation, les yeux dirigés vers le bout du nez, dans une expression solennelle mais tranquille. La statue est nue ou porte un léger voile qui indique le renoncement aux choses du monde. Elle a souvent, sur la poitrine, un motif en forme de diamant. Les Svetāmbaras ornent fréquemment la statue de bijoux mais, dans les temples digambaras, elle reste sans ornement. Autour de la statue on peut voir, parfois, des éléphants ou d’autres animaux, des oiseaux ou des êtres humains et des gardiens célestes. Chaque Tirthankara a un signe distinctif : un taureau pour Rishabha, un lion pour Mahavira, ainsi de suite, ce signe figure sur le piédestal. Parshva, le vingt-troisième Tirthankara est représenté avec un capuchon de sept serpents. Dans les lieux fréquentés par les pèlerins il y a un centre d’hébergement gratuit, (dharmashala) bien qu’il soit d’usage que les fidèles, suivant leurs moyens, laissent un don d’argent, pour l’entretien du temple.

Parmi le grand nombre de lieux de pèlerinages jaïns, un qui est d’une sainteté inégalée c’est le Mont Parsvanatha ou Sammed Shikhara (Jharkhand), car on croit que c’est là que pas moins de vingt des vingt-quatre Tirthankaras on laissé leur dernier corps et atteint leur libération. La montagne s’élève  très belle de ses flancs de forêts jusqu’à un pic découpé avec le sommet couvert de temples. Tels qu’ils existent aujourd’hui ces temples sont tous relativement modernes. Le plus beau, au sud-est, avec ses cinq dômes cannelés, abrite un statue en marbre noir de Parshava, le vingt-troisième Tirthankara. Elle est datée, à sa base, de 1765. Un grand nombre de pèlerins viennent à cet endroit, les plus pieux, après avoir visité chaque sanctuaire, terminent le pèlerinage en parcourant à pieds le circuit de trente milles de la base de la colline.

De Samet Sikhara le pèlerin peut aussi aller à Pavapuri, aussi au Bihar. C’est un lieu de grande beauté scénique, en particulier quand les fleurs de lotus sont ouvertes sur le grand lac. Ce lac, suivant la légende, s’est formé durant des siècles par les innombrables pèlerins qui ont pris une pincée de poussière pour marquer leurs fronts. En effet, c’est un lieu sacré où s’élève un temple à l’endroit où l’on pense que Mahavira a atteint la libération et un autre temple là où son corps a été incinéré. Le second est sur une île dans un lac, entouré d’une chaussée reliée à la berge. Sa structure brillante, réfléchie dans les eaux remplies de lotus, produit une vue splendide. Les deux temples ont été considérablement restaurés, au cours des ans. La fête de Diwali, est naturellement célébrée là, tous les ans, en grande cérémonie, en mémoire du nirvana de Mahavira.

Si l’ancien Etat du Magadha, le Bihar moderne, a été le berceau du Jaïnisme, la communauté est aujourd’hui la plus forte dans l’Inde occidentale. Le Rajasthan et le Gujarat sont particulièrement riches en temples et en lieux de pèlerinages jaïns. On rapporte que, il y a sept cents ans, il y avait plus de trois cents temples dans l’Inde occidentale, dont deux cents au Gujarat.

Jaisalmer au Rajasthan attire, depuis longtemps, des érudits dans ses célèbres bibliothèques de manuscrits jaïns et de plusieurs milliers de livres religieux. Non seulement des universitaires mais aussi de nombreux adeptes font un pèlerinage à ces temples en pierre jaune aux sculptures extrêmement ouvragées.

Ranakpur, au Rajasthan aussi, possède un temple ou un complexe magnifique qui date du XV ème siècle. Il couvre 40.000 pieds carrés sur une base relevée et il est entouré, comme c’est la coutume pour les temples jaïns, par un haut mur. Suivant un style assez fréquent, le sanctuaire principal a quatre statues en marbre blanc, hautes de six pieds, de Rishabha, le premier Tirthankara, qui font face aux quatre directions, ainsi le plan du temple possède quatre entrées. D’innombrables piliers, on dit qu’il y en a 1444, richement ciselés et tous différents, offrent des vues sans fin à travers les vingt-neuf halls interrompus par des cours ouvertes. Au XII ème siècle, le roi jaïn du Gujarat, Kumarapala, fonda un temple à Taranga. Son successeur réagit contre le Jaïnisme et le temple fut largement détruit mais il fut restauré, plus tard, sous le règne de l’Empereur Moghol Akbar, au XVIème siècle. Il est situé de façon pittoresque au sommet d’une colline, avec un accès difficile, qui témoigne de l’endurance des pèlerins.

Indubitablement, les chefs d’œuvre de l’architecture jaïne, pratiquement inégalés en Inde, pour la beauté et la finesse de leurs ciselures, ce sont les magnifiques temples Delwara sur le Mont Abu au Rajasthan. La sculpture du marbre blanc est si délicate qu’il est presque translucide : les maçons raclaient le marbre plus qu’ils ne le ciselaient et l’on dit qu’ils étaient payés au poids de la poussière de marbre enlevée. Le transport  des blocs de pierre venus de loin doit avoir, à lui seul, été très laborieux et coûteux. Il y a là deux complexes Un, dédié au premier Tirthankara, a été bâti aux alentours de 1030 de notre ère par Vimal Shah, un riche marchand. Il a été restauré en 1322. Les quarante-huit piliers du hall principal ne sont pratiquement égalés nulle part pour leur décoration. Le dôme de onze anneaux, en alternance, décoré de figures humaines et animales, est impressionnant. Le second temple, dédié au Tirthankara Neminatha est plus grand. Il est long de 155 pieds. Ce temple fut fondé par vers 1230 par Tejapala, qui avec son frère Vastupala, Premier Ministre du régent du Gujarat, a fait bâtir plus de cinquante édifices religieux, comprenant les fondations de Satrunjaya et de Girnar. Chaque complexe religieux est dans une aire rectangulaire entourée de murs décorés de statues dans des niches tout au tour de la circonférence. Non seulement les temples, mais aussi la splendide vue panoramique à 4000 pieds au-dessus de la mer, font de ce site un spectacle remarquable, ainsi qu’un endroit d’une signification religieuse profonde.

Deux lieux de pèlerinage au Gujarat, Girnar et Satrunjaya sont si riches en temples et en chapelles qu’il ont été décrits comme des cités de temples. Girnar est célèbre comme le lieu où le Tirthankara Neminatha est parvenu à la libération. Un temple célèbre, au sommet du mont, a plus de mille ans. Une inscription a été trouvée là rappelant qu’il a été réparé en 1278. Il est dans une cour rectangulaire, entouré de quelques soixante-dix statues de Tirthankaras. C’est le temple le plus grand, mais il y en a de nombreux autres, dont un, fondé par Vastupala en 1231, et dédié au dix-neuvième Tirthankara Mallinatha.

Satrunjaya est un lieu de pèlerinage jaïn ancien car ce fut là que le premier Tirthankara Rishabha ainsi que son disciple en chef auraient atteint la libération. De nombreuses centaines de temples et de chapelles plus petites sont contenus dans neuf enclos de murs. Bien que la plupart soient modernes, datant pour la plus grande partie du XIX ème siècle, ce site a une longue histoire et les rapports traditionnels font état de seize restaurations remontant à une lointaine antiquité. Un nouveau temple de Rishabha a remplacé le vieux, au milieu du XII ème siècle, et sept chapelles ont été érigées en face, en 1231, par Vastupala. Certains de ces temples peuvent prouver leurs origines, selon leur forme actuelle, au X ème siècle. Malheureusement, Satrunjaya a souffert beaucoup des destructions, durant les conquêtes musulmanes, au XIV ème et au XV ème siècles, mais les temples furent restaurés ou reconstruits après 1500. En 1582 l’Empereur Akbar donna officiellement aux Jaïns le territoire qu’ils occupent là. Certains grands temples sont vraiment magnifiques avec leurs hauts pains de sucre, leurs dômes ouvragés et leurs flèches, un trait typique de l’architecture des sanctuaires jaïns, alors que les plus petits ont souvent une intimité simple et impressionnante. La construction de temples n’a pas cessé et un nouveau complexe, construit dans les années1970, peut supporter la comparaison avec les très anciens. L’ornementation et la statuaire riches abondent et démontrent le talent des graveurs de pierres. Depuis le XVIIème siècle, Satrunjaya est devenu de plus en plus important. Comme les pèlerins venaient là très nombreux, des guides ont été écrits pour eux détaillant les routes par lesquelles ils peuvent visiter et prier devant de nombreuses statues. A une certaine date, chaque année, plus de 20.000 pèlerins font  une marche circulaire de douze miles. La difficulté est grande, mais le bonheur éprouvé en vaut bien la peine. Pour la partie la plus difficile, une route de vingt-quatre miles peut être foulée. Des cérémonies spéciales ont lieu, à des dates diverses, dans l’année. Certaines prières, certains souvenirs et rites sont établis pour les pèlerins. Un grand mérite est acquis pour le pèlerinage à Satrunjaya en jeûnant et en pratiquant le culte là (même si l’on ne peut pas réussir dans son essai à l’atteindre), un plus grand mérite, dit-on, que dans beaucoup d’autres grands lieux de pèlerinages jaïns.

Tous les lieux qui viennent d’être mentionnés se trouvent dans le nord de l’Inde, mais le sud a aussi ses grands centres de pèlerinages. Le plus célèbre est celui de Shravana Belgola au Karnataka, à soixante-deux miles de Mysore. Là, sur une colline de 470 pieds au-dessus de la plaine et atteinte par environs cinq cents marches se dresse la statue colossale de Bahubali, de cinquante-sept pieds de haut et vingt-six pieds de largeur d’épaules. Elle a été taillée dans un solide bloc aux alentours de l’an 980 de notre ère. Le cloître qui l’entoure a été ajouté en 1116.Cette statue monolithique debout est la plus grande du monde. Bahubali ou Gommata était le fils de Rishabha, le premier Tirthankara. On dit qu’il resta ainsi debout dans une méditation si profonde que des plantes grimpantes poussèrent sur lui. La statue le représente nu, manifestation d’un renoncement total aux biens terrestres, avec ses membres enlacés de plantes grimpantes. Il y a, dans l’ Inde du sud, d’autres statues de Bahubali, mais celle-là est de loin la plus grande. C’est un centre majeur de pèlerinage aussi bien pour les Jaïns du nord que du sud de l’Inde. Dans un temple jaïn, la statue consacrée est baignée rituellement, chaque jour, comme partie de la vénération. Celle de Bahubali à Shravana Belgola est si colossale que ce rite ne peut être fait qu’à ses pieds. Cependant, à certains intervalles, entre douze et quinze ans, une grande structure d’échafaudage est dressée et la statue est cérémonieusement arrosée de pots d’eau mélangée à de la pâte de santal, de la noix de coco et du sucre. Un demi million de personnes ont assisté à la cérémonie en 1967. En 1981, celle-ci a eu une signification spéciale car elle marquait le millième anniversaire de la consécration de la statue. Elle a été suivie d’une autre cérémonie en 1993 et tout récemment en février 2006.

Le pèlerinage aux lieux saints fait partie d’une tradition de pratiquement toutes les religions dans le monde. Les difficultés du voyage disciplinent le corps et la compagnie d’autres pèlerins renforce la foi religieuse. Prier et pratiquer le culte en un lieu fait saint par la tradition, la consécration ou la vénération de générations de fidèles, se trouver là où de grands leaders et saints religieux se sont trouvés à un certain moment, tout cela inspire et élève. L’âme éprouve du mérite, l’esprit ressent de la paix. Un pèlerinage est interprété de façon différente selon les personnes. Certaines, qui sont des gens simples, sont contentes de se perdre dans l’impression de l’occasion, de suivre sans pensée éreintante les rites et les prières. D’autres peuvent avoir une vue plus intellectuelle, ne pas croire aux plus miraculeuses légendes ou au moins les voir comme des histoires pieuses et éducatives plutôt que comme des vérités réelles. Mais peu nombreuses sont  les personnes qui entreprennent un voyage en des lieux saints et qui en repartent insensibles.

Les pèlerinages et les temples sont une partie vivante de la religion jaïne, non une tradition moribonde du passé. A Leicester, en Angleterre, un nouveau temple a été construit, pour la première fois, dans le monde occidental, avec des statues de Tirthankaras véritablement consacrées. Elles sont hébergées dans un sanctuaire en pierre sculptée splendide, à l’intérieur d’un Centre jaïn. Cela a été possible grâce aux contributions des Jaïns du monde entier, pour offrir un lieu où les pèlerins peuvent venir de Grande-Bretagne, d’Europe, de l’Inde, et du monde entier, prier devant les trois statues de Shantinatha, Parshva et Mahavira dans ce temple en pierres jaunes sculptées. En 2006, un nouveau temple splendide a également été inauguré près de Londres, à Potters Bar (Hertfordshire), dans le style des sanctuaires jaïns de l’Inde.